lundi 12 mai 2008



Agouni-Gueghrane (Le plateau des jeux)
Par Moussa Bedrane


Ce village perché sur une colline à deux cornes, est situé entre le pied d'un rocher et le sommet d'un autre, d'où leurs noms: "L'QA-GUESS'G" et "IXF-GUESS'G".Adossé à l'Ouest du mont Kouriet, il se blottit au flanc du pré-massif du Djurdjura d'où le surplombe "L'IZGUIZIG", col de plus de 2100 M d'altitude. Niché au cou du rocher "IXF-GUESS'G" il fait face aux villages d'ATH EL KAID et AZOUNENE, qui au loin à l'Ouest, sont agrippés sur les crêtes de deux pitons entourés de figuiers de barbarie.
Tandis qu'à l'Est le fier rocher du corbeau "L'QA-GUESS'G" porte généreusement sur son dos le village de TAFSA-BOUMAD. L'on dirait que les canicules estivales et les rigueurs hivernales ont acculé les deux villages de cette colline, à s'encastrer dans ces reliefs, comme pour s'y protéger.
Un ruisseau "ACIF-OUGUERGOUR" prend naissance des entrailles de la haute montagne, jaillissant en une chute cascadeuse durant l'hiver et le printemps au travers de l'échancrure qui sépare le Kouriet du pré-massif du Djurdjura.
Au fond d'un ravin et aux abords du pédoncule qui relie la colline à deux cornes au Kouriet, il serpentera le long de son cours le village, avant de joindre dans la plaines des Ouadhias,"l'ACIF-EL-HAMAM", qui s'en ira quelques kilomètres plus loin mourir à TAKHOUKHT.
Ce ruisseau pérenne aux eaux limpides et chahuteuses entre les roches, regorgeait de goujons et d'anguilles, dont la pêche faisait la passion des générations d'antan, à laquelle ils s'adonnaient après la baignade fraîche lorsque le soleil parvenait au zénith, tout au long de l'été.
Vu du Nord, Agouni-Guéghrane donne l'impression d'être collé au Djurdjura, alors qu'il n'en est rien. Car un premier couloir étroit et profond, en forme de V, sépare la colline de son implantation, du pré-massif et du Kouriet, auquel elle n'est rattaché que par une langue de terre ce pédoncule jouxtant l'échancrure d'où prend source le ruisseau.
Un second couloir non visible parce-que caché par le Kouriet, est formé par ce dernier et le massif du Djurdjura.
Plus vaste, il constitue un plateau rocailleux accidenté, où se situent:TIZI-MELLAL et TAGMUNT NATH ARGANE.
L'on y accède par deux voies qui contournent le massid du Kouriet. La première par l'Est, longue mais accessible l'autre abrupte descend du village jusqu'au ruisseau pour remonter difficilement pénétrer la montagne en escaliers, par l'un des flancs de l'échancrure et enlacera le Kouriet par l'Ouest, nous l'appelons "TILOUHAT", c'est un sentier qui n'est praticable qu'à pied.
Une fois là-haut, toute la splendeur du Djurdjura s'offre à votre vue ; l'AKOUKER, 'IZGUIZIG, vous semblent à deux doigts, alors que le THALTAT est presque à côté.
Ces villages font partie du douar Kouriet, de la tribu NATH SEDKA
Naguère, ils ressemblaient à des termitières, à cause des maisons qui y étaient bâties localement. Construites à base de pierres et d'argile, leurs toitures étaient semi-plates, doubles pentes légères, que borde un pourtour de plaque de liège ou de schiste, formant égouttoir. Elles étaient couvertes de terres en une couche de 25 à 30 cm d'épaisseur, schiste tassé sur une lourde armature de rondins, à peine équarris en olivier ou en frêne, rarement en chêne, bois cassant et souvent rongé par les vers; le tout soutenu par des étais grossiers "TIGEJDIT". La violence des vents à cet endroit, doit être à l'origine de ce mode de construction qui décourage, de l'emploi de la tuile.
Comme l’a si bien observé Martial REMOND l’ancien administrteur de lacommunemixte de Fort-National, depassage dans cette contrée.
Aujourd'hui même à l’ère du béton armé, il est rare de rencontrer une demeure charpentée de tuiles, tant est si bien que la férocité des vents en dissuade son propriétaire. Les hommes et les femmes d'Agouni-Guéghrane vivaient principalement du travail de la terre, de cette colline enveloppée d'un manteau vert, car fortement boisée sur le pourtour de sa couverture de forme conique.
Sur le versant Sud, "A-G'MADH" très peu ensoleillé est constitué de vergers, où se mélangent pour la plupart: figurerais, olivaies et cerisiers en plusieurs lopins.
Du versant Nord, après la pente descendant du village, où poussent les mêmes variétés d'arbres fruitiers, sauf le cerisier qui ne veut pas y' élire domicile. L'on arrive juste à la traversée du ruisseau encore, à la plaine "A-ZAGHAR", constituée de multiples vallons. A cet endroit, le ruisseau délimite deux types de surfaces, à droite celles réservées à l'arboriculture ; à gauche celles nues que l'on réserve aux pâturages du bétail et aux fourrages pour l'hiver.
Quelques maigres cultures de céréales et légumes secs sont pratiquées, essentiellement de l'orge, pois - chiches, et fève. Mais depuis fort longtemps,
A-ZAGHAR, n'est plus qu'une prairie où le bétail bovin se régale au printemps de cette plante fourragère qu'est le sainfoin, qui trouve en ce sol sa terre de prédilection.
"A-ZAGHAR" dont les terres argileuses collent aux pieds dés les premières pluies tombées et se crevassent profondément aux jours d'été, a de tout temps été ingrat envers son homme, qui s'acharnait mais en vain, à féconder sa stérilité.
C'est peut-être pour cela, que las d'un travail intense et harassant et devant l'inanité de son labeur, le paysan recourt le plus souvent à l' émigration.
Déraciné de sa terre, loin de son milieu social, il s'en ira dans le bassin Longovicien ou Parisien, rejoindre le lot de plus en plus gros de ceux qui l'ont précédé, il se pliera tant bien que mal aux conditions imposées par le milieu industriel du pays d'Emile ZOLA, qu’il avait si bien décrites dans Germinal.
Alors que les générations de jadis n'avaient que pour seul salut, l'exode vers les terres plus fertiles de l'Est et parvenaient jusqu'en Tunisie.
Quant à ceux qui se sont attachés à leur terre, c'est peut-être parce-qu'ils ont hérités de lopins plus nantis, en oliviers surtout.
En été, le long du ruisseau et suivant la topographie du relief, des jardins où l'on cultive des maraîchers : piments, tomates, haricots verts, gourgettes et potirons sont irrigués par de savants ouvrages, tels que digues et canaux et exploités avec une méthodologie ancestrale.
Des pêchers et grenadiers bordent le pourtour de ces jardins, odoriférants du basilic qui les agrémentait.
Quelques plus fortunés, exploitaient des moulins à eau aux abords du ruisseau, duquel l'on recueillait la houille blanche qu'il sécrétait, pour moudre le grain des villageois.
D'autres possédaient des huileries, exploitées en hiver et au printemps ; après que les olives furent gaulées et ramassées, pour en extraire cette précieuse huile au goût irremplaçable et aux mille et une vertus.
Les habitants de cette contrée, d’AGOUNI-GUEGHRANE, TAFSA-BOUMAD, TAGMOUNT NATH-ERGANE, ATH EL KAID et AZOUNENE sont appelés "ATH-VOUCH-NACHA".
Appellation qu'ils doivent probablement à la culture du sorgho, céréale du pauvre, qu'ils devaient cultiver ou commercer.
Agouni-Guéghrane, dont la signification est prétendue "LE PLATEAU DES JEUX" proviendrait d'un jeu que pratiquaient les enfants de ce village, il y'a de cela fort longtemps sur la crête de cette colline à deux cornes, au milieu du cimetière compris entre les deux rochers, "L'QA-GUESS'G" et "IXF-GUESS'G".
Depuis, les forces coloniales ont rasé et nivelé cette crête (en 1957) pour les besoins de leur stratégie, eu égard à la conjoncture qui leur était imposée à l'époque.
Un autre cimetière a été aménagé sur le flanc Sud, faisant face au village AIT EL KAID et à "A-G'MADH", ce cimetière nous l'appelons "TIZI-BOUCH'FADH".
Combien même, nombre d'enfants d'AGOUNI-GUEGHRANE, n’eurent pour seul choix qu'entre l'exode dans le pays ou l'expatriation en Métropole, il n'en demeure pas moins que tout un chacun aspire à finir paisiblement ses jours au milieu de son environnement naturel et des siens.
Le poète ne disait-il pas ?
-"Heureux qui comme Ulysse a fait tant de voyages, et qui après maintes traversées est revenu au pays de ses vertes années."
Juste quelque temps, avant de rejoindre ceux de nos chers, qui nous ont quittés en choisissant dernière demeure à TIZI-BOUCH'FADH
C’est dans cet univers, et parmi les hommes et les femmes de ce village, qu’un certain Slimane N’Lamara Nath Wali (AZEM) avait vécu ses vertes années.
A son tour, il dut se soumettre à la dure loi de l’exil, qu’il était de son destin de subir, comme tous les kabyles de l’époque.
Loin de cette terre qui l’avait tant chéri, et dont il aura un chagrin incommensurable, il recourra aux paraboles, dans son imaginaire et fantasme.
A l’image de cette hirondelle messagère d'un exilé en mal de nostalgie, envoyée pour s'enquérir du pays et de ses Hommes.
Au cours de son périple et dans l’itinéraire qu’il lui avait tracé, il lui recommandera de faire une halte au village Agouni-guéghrane, dans sa demeure natale, il l’invitera à passer une nuit parmi les siens, avant de poursuivre son voyage en abordant les cimes du Djurdjura.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

salut malik , une tres bonne présentation au village thanmirth